Jeanne Marcheret, Mathieu Richter  – HEAD

A Live Acconci Performance
Une proposition de Mathieu Richter et Jeanne Macheret
Avec Quynh Dong, Alan Bogana, Lola Cholakian, Tom Huber, Cécile N’Duhirahe, Isabel Obrecht, Arina Rouzinova, Céline Schroeder, Dina Schuepbach, Celia Sidler, Nathalie Sidler, Claudia Waldner, Judith Wälti, Yan Duyvendak, Mathieu Richter et Jeanne Macheret

Les performers entrent sur scène les uns après les autres en marchant, s’arrêtent puis se couchent sur le côté, appuyés sur un coude, face au public. Ils occupent tout le plateau. Chacun commence à répéter, dans sa langue maternelle, certaines des paroles que prononce Vito Acconci dans sa vidéo Theme Song : “Please come, come close to me, I am so lonely, I really need a body close to mine. You don’t want to come close to me? I don’t even know you, I’ll take anyone. Please come.” Etc.
Chacun essaie de capter le regard des personnes du public, de les séduire, de les convaincre. Le volume des voix augmente de plus en plus. Si une personne du public rejoint un performer sur scène, ce dernier peut le tenir dans ses bras, mais continue de réciter son texte comme s’il se trouvait seul. Au bout de dix minutes environ, un des performer se tait, se relève et sort. Les autres performers font de même l’un après l’autre. Les performances et les vidéos d’art réalisées dans les années 70 par Vito Acconci, Marina Abramovic, Bruce Nauman et bien d’autres représentent pour nous des références très importantes. Mathieu et moi travaillons ensemble, depuis quelques temps déjà, à l’étude de ces travaux et à la compréhension de leurs enjeux pour l’histoire de l’art et pour nous, étudiants-créateurs de performances d’aujourd’hui. Nous nous demandons pourquoi ces œuvres des années 70 nous fascinent particulièrement. Nous cherchons à repérer les causes de cette fascination et à y réfléchir, en mettant en regard ce que nous supposons du passé et ce que nous connaissons de notre contexte social et artistique d’aujourd’hui, en 2006. Nous nous questionnons beaucoup sur notre condition d’artistes-performers. Par l’étude, l’analyse et la reprise des performances et des vidéos des années 70 qui nous apparaissent comme des jalons très forts dont nous sommes nécessairement les héritiers, nous espérons acquérir une plus grande conscience des similitudes et des différences qui nous lient à ces œuvres du passé et nous en séparent tout autant, afin d’amorcer la formulation de notre propre positionnement artistique. Dans Theme Song, vidéo réalisée en 1973, on voit Vito Acconci en train de parler, de fumer des cigarettes et de fredonner les paroles de chansons populaires de rock américain qu’il passe, en même temps, sur un magnétophone situé hors champ. Il est couché sur le sol devant un canapé à rayures. La caméra est posée par terre également, de sorte que son visage apparaît en gros plan. Il s’adresse à la caméra comme s’il se trouvait en face des personnes d’un public qu’il regarderait dans les yeux afin de les séduire et de les attirer à lui. La mise en scène est très efficace. En visionnant cette bande vidéo on se sent réellement interpellé et on a très vite conscience de cette limite physiquement infranchissable de l’écran de télévision, parce qu’il ne s’agit que de signaux analogiques dans une boîte, mais on se rend compte en même temps du grand pouvoir d’attraction de cette technologie, que Vito Acconci utilise ici à la perfection. Dans son travail, Vito Acconci s’est beaucoup penché sur les enjeux de la télévision, cette boîte, physiquement présente dans un espace, qui sert à montrer des images de personnes physiquement absentes de cet espace. Avec Theme Song il parvient à démontrer qu’une image de lui dans la télévision peut réellement remplacer sa présence en chair en os. Nous nous sommes inspiré de Theme Song pour mettre au point notre performance. Nous avons choisi de nous confronter à la problématique de la séduction parce que cela représente quelque chose de très fort pour nous et de très présent dans notre environnement actuel. Notre première idée était de nous approprier le rôle de Vito Acconci en le “ressortant” de sa boîte-télévision pour le replacer sur scène, en chair et en os, devant le public, parce qu’il nous apparaît qu’aujourd’hui où les moyens de communications à distance se trouvent décuplés, nous sommes tous passés de l’autre côté de l’écran, et qu’il est donc plus pertinent de s’attacher à démontrer que l’image d’une personne ne parvient pas à suppléer sa présence en chair et en os, même si nous n’en sommes parfois plus très sûr. Il s’agissait de rejouer les choses pour en révéler les enjeux. On demande au public de venir près de nous, dans nos bras, on lui demande de venir nous toucher, physiquement, puisque c’est justement ce que les moyens de communication à distance ne permettent pas, mais ensuite on affecte une indifférence totale à l’encontre des personnes qui nous rejoignent sur scène, afin de montrer que le contact en chair et en os n’est pas une évidence, qu’il y a quelque chose à traverser, quelque chose comme un écran, comme l’écran virtuel qui sépare la scène du public. Notre performance est exécutée par 16 personnes afin que le public puisse “zapper” d’un performer à un autre, comme on a l’habitude de zapper d’une chaîne télévisée à une autre, d’une image à une autre, mais en se retrouvant ici confronter à une demande, la même demande à chaque fois, où que l’on regarde, ce qui concourt à provoquer une sensation d’oppression et de malaise. Le grand nombre de personnes sur scène produit un effet spectaculaire attirant, leurs paroles et leurs regards sont aguicheurs, mais la répétition sempiternelle des mêmes phrases et l’attitude de séduction à la limite du vulgaire des performers crée un mouvement de répulsion simultané. Ce jeu d’attraction-répulsion reflète nos sentiments contradictoires envers cette séduction que les médias font toute-puissante. Pour plaire il faut séduire, pour être reconnu il faut plaire... et nous voulons tellement être reconnus, surtout en tant qu’artistes.